Tandis
que l'intégrisme bat son plein, les Algériens se convertissent au
protestantisme par dizaines de familles. Plus de 1000 conversions par
année selon les pasteurs. A ce rythme, en moins d'un siècle, la moitié
de l'Algérie serait chrétienne.
Le
temps est idéal pour voyager à travers la Kabylie dont les sommets
blanchis par une neige timide brillent sous l'effet d'un soleil
fébrile. Mais, sur la route de Beni Douala, à 20 km au sud de
Tizi-Ouzou, la stèle commémorative de l'assassinat du chanteur kabyle,
Matoub Lounès, par "un groupe armé non identifié" nous rappelle que la
région n'est pas sure. En cours de route, une foule d'enfants assiste
en direct sur la colline d'en face, à un ratissage. Les militaires
exhibent la tête de l'un "terroriste islamiste" qui vient d'être tué.
C'est
dans cette ambiance d'insécurité que la presse arabe parle de
"conversions massives". Même si la région est quadrillée par le Groupe
salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) du sinistre Hattab,
dissident du Groupe islamique armé (GIA), les convertis continuent de
fréquenter plusieurs temples : Draa-ben-Khedda, Boghni et Les Ouadhias.
Exceptée le temple des Ouadhias qui officie avec la bénédiction du
ministère de l'intérieur, les autres sont des lieux de fortunes
aménagés pour les circonstances. Draa-ben-Khedda a été fondée par son
pasteur autoproclamé, Said Azzoug, qui s'est converti au protestantisme
en 1993. Ce dernier affirme qu'il baptise 5 à 6 personnes par jour.
Contrairement
à ce qu'a affirmé la presse arabophone algérienne, ces conversions
touchent toute l'Algérie. Mais c'est en Kabylie qu'on observe les
conversions les plus significatives et les plus ostentatoires. Ainsi,
le journal Al Khabar a titré son article : "Les cloches des églises
résonnent aujourd'hui au pied du Djurdjura". Quant au quotidien
Al-Arab, édité à Londres, il demande aux autorités d'appliquer la peine
de mort prévue par la Charia pour les apostats.
Sur le
terrain, les convertis semblent vivre paisiblement. Aux Ouadhias, les
chants liturgiques et les appels du muezzin s'harmonisent. Au temple,
le pasteur Saim Abdelkader et son épouse suissesse Erna Hubbert nous
reçoivent avec méfiance. Pourtant, nous sommes passés par une relation
de confiance et le site est gardé par deux cordons de sécurité. "On
figure sur une "liste noire", nous affirme Erna, avant d'ajouter :
"Nous vivons en symbiose avec la population. Je n'ai jamais raté un
jour de marché". Abdelkader confirme : "Mis à part l'imam qui a déserté
sa maison à cause de nous, les habitants sont très tolérants".
Abdelkader
qui "célèbre environ 50 baptêmes" par an et la messe hebdomadaire avec
60 à 100 fidèles, nous résume les activités de la communauté : "Le
jeudi après midi, on accueille les fidèles qui arrivent même des
régions arabophones. Après le cours de formation biblique, on soupe
ensemble. Le lendemain, après la messe - ici, le jour du seigneur est
le vendredi, terre d'islam oblige - on fait des prières". Concernant
les moyens, le couple affirme qu'il fonctionne surtout avec les dîmes
(10% du salaire). "Nous refusons, toute subvention pour rester
autonome", déclare Abdelkader.
Selon les affirmations
combinées de pasteurs, on totalise plus de 1000 conversions par année.
Mais ce chiffre est à prendre avec prudence : à ce rythme, en moins
d'un siècle, la moitié de l'Algérie serait chrétienne. La préférence du
protestantisme au catholicisme trouve ses raisons dans les différents
modes de vie que préconisent ces deux grandes tendances. L'interdiction
du mariage pour les pasteurs catholiques suffit à éloigner les paysans,
pour qui la progéniture est une sorte de rente vieillesse. De même,
l'extrême hiérarchisation de l'Eglise catholique, fait fuir les esprits
rebelles, qui sont légion dans ces rudes montagnes du Djurdjura.
Mais
pourquoi ces conversions ? "Les gens en ont marre de l'hypocrisie des
islamistes et du pouvoir", affirme Erna. Selon la Suissesse, l'islam
souffre d'une grave détérioration de son image. Notre guide, Mustapha
Harouche, souligne le rôle des radios étrangères. En effet, pour
contourner l'interdiction du prosélytisme et l'importation de
littérature chrétienne en arabe et berbère, plusieurs radios diffusent
des émissions de vulgarisation de l'évangile en langues locales.
Article paru dans infosud.